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La limousine qu’il ne pouvait pas perdre : Comment un charpentier de C.-B. est devenu chauffeur de limousine

Une limousine pas comme les autres à Revelstoke

Ceux qui empruntent régulièrement la Victoria Road à Revelstoke connaissent certainement la limousine Big Bear Limousine, souvent garée près de Wynn Street. De temps à autre, les habitants du coin s’amusent à l’appeler pour une petit tour dans la ville, une expérience peu commune dont ils se souviennent avec amusement.

Une origine inattendue pour une voiture pas comme les autres

Cependant, selon son propriétaire, Alex Cadotte, âgé de 38 ans, cette limousine n’a jamais été conçue à l’origine comme une entreprise commerciale. Lorsqu’il l’a acquise, ce n’était qu’une plaisanterie qu’il maintient encore aujourd’hui, ne réalisant aucun profit avec cette activité. La voiture est devenue une sorte de blague locale dont il ne tire aucun revenu, mais qui lui procure beaucoup de plaisir.

Un parcours atypique et une jeunesse dans le Québec profond

Originaire de Val-David, au Québec, qu’il compare à une version québécoise de Revelstoke, Cadotte a grandi dans cette petite ville. À 18 ans, il a déménagé à Whistler, parlant à peine anglais, pour y travailler comme nettoyeur de toilettes la nuit afin de pouvoir profiter chaque jour du snowboard. Il se souvient : « Ce gars m’a dit : ‘Hé gamin, viens voir. Tu as déjà entendu parler de Revelstoke ?’ » Il décrit ce moment en évoquant la brochure que cet homme lui a montrée, vantant la ville comme la prochaine grande destination de ski, avec la nouvelle station Revelstoke Mountain Resort. « À l’époque, rien n’était encore construit. Tout venait juste de commencer. »

Ce travailleur, qui œuvrait dans la construction, lui offrit un emploi lorsqu’il avait besoin d’aide pour déplacer ses affaires à travers l’intérieur de la Colombie-Britannique. Cadotte, voyant dans la construction un avenir prometteur, retourna d’abord au Québec pour suivre une formation de base en menuiserie avec son frère. Ensuite, il traversa l’Ontario et les Prairies pour retrouver leur nouvel employeur. Mais lors de ce voyage de deux jours, une crise mondiale bouleversa tout : la crise financière de 2008. À leur arrivée, l’homme qui l’avait invité à Revelstoke lui annonça qu’il n’avait plus de travail pour lui. La déception fut immense.

Les difficultés et la persévérance dans une ville nouvelle

Déterminé à rester dans cette ville pour continuer à pratiquer sa passion pour le snowboard, Cadotte chercha à tout prix un emploi dans la construction, parcourant chaque rue à la recherche d’une opportunité. Face à un manque de chance, il se souvient : « Il y a eu un moment où je n’avais même plus d’argent pour manger. Je me rappelle de mes visites à la banque alimentaire. Je savais ce que c’était que de n’avoir rien. »

Il fit également face à l’hostilité de certains habitants, qui lui reprochaient, en tant que Québécois, de s’être installé chez eux. « Si j’avais un dollar à chaque fois qu’on m’a dit, ‘C’est notre ville’… » plaisante-t-il.

Une opportunité inattendue et un début de reconnaissance

Mais un jour, une lueur d’espoir apparut. Un collègue lui confia qu’une entreprise de construction proche du resort, qu’il contactait toutes les deux semaines, « n’engageait pas, mais si tu dis que tu connais la construction en acier (pour les bâtiments commerciaux), tu pourrais avoir une chance ». Il lui conseilla de se présenter à leur bureau à 7 heures du matin, casqué sur la tête.

« C’est là que tout a changé », raconte Cadotte. « J’ai menti sur mon expérience au Québec, mais j’ai surtout supplié l’entreprise de me donner une chance. Si, ne serait-ce qu’un jour, ils me laissaient travailler gratuitement, et que je ne leur plaisais pas, je ne reviendrais plus jamais. » Finalement, il obtint un poste sur le chantier, avec son frère, pour installer des cloisons en acier dans un couloir de bâtiment. Mais le chef de chantier, perplexe face à leur rapidité, sortit brusquement de l’engrenage : « Qu’est-ce que vous faites ? Pourquoi construisez-vous si vite ? Si vous continuez comme ça, on va manquer de travail ! »

Cette remarque inhabituelle laissa Cadotte et son frère sidérés, mais le fait est qu’ils furent maintenus sur le site, et leur vie à Revelstoke commença à s’améliorer.

Une aventure entrepreneuriale entre succès et défis

Une décennie plus tard, après avoir fondé une entreprise de finition extérieure et rénové le Big Bear Chalet, une nouvelle idée germa dans l’esprit de Cadotte, alors qu’il restait au lit. L’occasion lui tomba dessus via Facebook Marketplace : une limousine à vendre à Kamloops pour 9 000 dollars. Il plaisanta auprès de sa copine qu’il achèterait cette voiture simplement pour en faire une voiture de promenade, sans en faire une activité commerciale.

« Je voulais juste écouter du Snoop Dogg, rouler dans la rue en fumant des joints avec des amis », confie-t-il, précisant qu’il n’avait pas fait de recherches sur la réglementation concernant la possession d’une limousine. La voiture, une vieille coupé, était dans un état déplorable à ses premiers yeux, mais le principal obstacle était l’assurance. Les assureurs l’envoyèrent dans une véritable spirale de paperasse pour l’enregistrer à son nom. Étant sans statut légal pour conduire une limousine, il ne pouvait même pas la ramener à Revelstoke sans obtenir au préalable un permis temporaire auprès de l’ICBC.

Après une année de démarches administratives pour l’immatriculation — alors qu’il ne voulait pas faire de cette voiture une activité commerciale — il sentit qu’il était temps de la vendre pour éviter qu’elle ne devienne un fardeau. Mais impossible de convaincre quelqu’un d’autre sans mentir sur l’assurance. « C’est la demande la plus folle que j’aie vue », raconte-t-il. Finalement, il décida de tenter sa chance pour faire de cette limousine un vrai business, car personne d’autre ne proposait de tours dans la ville. Il lui fallu convaincre le ministère des Transports qu’il s’agissait d’un coup de pouce pour Revelstoke, ce qui leur fit douter de ses intentions, certains craignant qu’il mente. Un rapport de 25 pages fut alors commandé pour vérifier la légitimité de son projet.

Contre toute attente, Cadotte obtint l’approbation provinciale pour lancer Big Bear Limousine, juste avant que la pandémie de COVID-19 ne frappe la région. « Après tout ce travail, le premier hiver d’exploitation coïncida avec la première vague de la crise sanitaire », se remémore-t-il.

Une rénovation et une identité visuelle distinctive

Malgré tous les obstacles, l’entreprise n’en fut pas moins revitalisée. Cadotte fit appel à l’artiste Benji Andringa, de la vallée de l’Okanagan, pour réaliser une peinture vive et accrocheuse sur la limousine, tandis qu’un ami en ville s’occupa de l’installation du vinyle à l’intérieur.

« Je voulais que ce soit quelque chose qui représente Revelstoke », explique Cadotte. « Le style est décontracté. Pas besoin d’être en tenue de ski. Vous pouvez être en vêtements de ski. Je cherche à rendre cela aussi abordable que possible. » La course de deux heures coûte 20 dollars par personne, une somme qu’il insiste ne lui permet pas de faire de profit, compte tenu des coûts d’assurance, d’entretien, de stationnement, etc. La réservation est simplifiée : il suffit d’envoyer un message ou un virement, sans remplir de formulaire ni fournir de carte bancaire.

Les défis quotidiens et la vision future

Le principal défi reste la demande immédiate. « Les gens veulent tout ‘maintenant’ », constate Cadotte. En hiver, il doit chauffer la voiture pendant 30 minutes et la dégager de la neige avant de partir. Il souligne que beaucoup de revenus se perdent car les clients ne prévoient pas leurs réservations à l’avance.

Après plusieurs années à faire avancer cette idée, Cadotte considère aujourd’hui surtout la limousine comme un investissement à long terme qui pourrait finir par prendre de la valeur. Il aimerait toutefois ajouter une touche de divertissement, notamment une activité de karaoke à bord, où les passagers pourraient chanter grâce à des microphones, sans que personne à l’extérieur ne puisse entendre. Cela pourrait devenir une expérience ludique et amusante, parfaitement adaptée à l’ambiance décontractée de Revelstoke.

Une équipe de conduite expérimentée

Il précise que lui-même n’est pas souvent au volant. Le plus souvent, une retraitée de Manitoba, ancienne chauffeur de limousine, assure cette tâche. Elle est venue à Revelstoke pour un travail supplémentaire, puisqu’elle travaille également pour le transport scolaire dans la région. Cadotte affirme qu’elle a rapidement gagné le respect des passagers. « On ne va pas parler de son âge », plaisante-t-il. « Elle déchire. »

Une localisation stratégique et un business fragile

Ce n’est pas non plus Cadotte qui vit dans la maison de Victoria Road où la limousine passe la majorité de l’année. Il paye un ami pour le stationnement afin d’assurer une visibilité maximale de Big Bear Limousine aux passants.

Malgré tout, « jusqu’à présent, les chiffres ne s’additionnent pas et l’entreprise ne génère pas de bénéfices », avoue Cadotte. La seule raison pour laquelle la limousine continue à rouler, c’est grâce à ses autres affaires. « En gros, tu fais juste tourner la voiture, les gens prennent des photos, et c’est tout. Je ne vois qu’une ou deux demandes par mois. »

Les lectures qui l’inspirent

N’étant pas un grand lecteur, Cadotte confie que deux livres lui ont quand même laissé une empreinte : Père riche, père pauvre de Robert Kiyosaki, et Le Secret de Rhonda Byrne. Le premier lui rappelle que l’achat d’un voiture de sport n’est pas un bon investissement, tandis que le second évoque le pouvoir de la manifestation.

Une plainte récurrente et un avenir incertain

Son seul vrai reproche dans cette activité concerne les appels réguliers venant de la Californie, plus précisément du Big Bear Mountain Resort. « Ils recherchent ‘Big Bear limousine’ sur Google », explique-t-il. « Je reçois souvent des demandes du style : ‘Peux-tu venir nous chercher ici ?’ »

Laurence Gauthier

Laurence Gauthier

Je m'appelle Laurence Gauthier, rédactrice au sein de Montréal Express. Curieuse du monde qui m'entoure, j’écris sur les enjeux sociaux, l’environnement et la vie citoyenne au Canada. Mon objectif : offrir une information accessible, engagée et ancrée dans le réel.